Pleins phares sur d’anciennes invisibles
Dignité, grève historique et espoir, retour sur la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles.
« Quand je vois ça je me dis : Est-ce qu’un jour je pensais pouvoir être comme ça ? M’arrêter là, avec un mégaphone dans la main, parler, parler et les gens m’écoutent. Ça me fait bizarre, ça me fait plaisir ! Ah, comme j’aime la lutte, là ! Franchement on ne savait pas qu’on avait une puissance comme ça ! Quand je vois tout ça je me dis : Comme on est belles ! Comme on est fières ! Voilà les combattantes qui ne lâcheront rien ! » s’exclame Keke Raissa Rachel, l’une des porte-paroles de la vingtaine de femmes mobilisées de l’hôtel Ibis-Batignolles. En effet, à l’issue de 22 mois de grève, les grévistes ont obtenu la signature d’un accord avec la société de sous-traitance Sin&Stes dont la portée est tout autant symbolique qu’économique.
Si les mobilisées ont gagné la mise en place d’une pointeuse, de tenues de travail fournies et nettoyées par l’employeur ainsi que l’augmentation des horaires de travail afin de lutter contre le dépassement honoraire non indemnisé. La grève était avant tout une lutte pour la reconnaissance et la dignité. Tout au long de leur combat, les femmes de chambre se sont avant tout battues pour constituer un groupe de grévistes dignes capables de s’unir dans toutes les circonstances et ce malgré leur mise en chômage partiel au début de la crise du COVID-19.
« La femme de chambre est la fondation de l’hôtel même, c’est nous qui faisons venir les touristes à Paris » affirme Kimissa Esper Sylvie, porte-parole, dans une interview au média Reporterre. Malgré cette position cruciale dans l’hôtellerie, le régime de sous-traitance a entraîné de véritables violations du droit du travail ainsi qu’une pénibilité extrême abîmant les corps. De la même manière, le groupe STN a profité de la dépendance économico-sociale des travailleuses. Ces dernières, contraintes à maintenir coûte que coûte un contrat de travail afin de renouveler leur titre de séjour se retrouvent prises au piège d’un système injuste et épuisant.
Ainsi, cette grève féministe fut l’occasion de mettre en lumière des travailleuses trop souvent invisibilisées victimes d’un continuum de violences sexistes et racistes. Exilées et précaires, ces femmes n’étaient pas habituées à défendre leurs droits, contraintes au douloureux silence plutôt qu’au cri émancipateur. Ces 22 mois de lutte signent alors une ode à l’espoir où la solidarité féminine a forcé le groupe hôtelier ACCOR à capituler. Ils montrent que la coalition des forces autour d’une mobilisation commune permet de lutter contre l’isolement forcé – la société de sous-traitance réunissant délibérément, au sein du même hôtel, des femmes ne parlant pas la même langue et soumises à différentes conventions collectives de travail.
Pour les mobilisées, tous ces freins n’ont pas fait tarir la force de la bataille. « Maintenant il y a un lien entre nous. Finalement avec la grève, plus personne ne peut jouer avec nous : s’il y a un problème on fait blocus, et ça m’a franchement fait comprendre beaucoup de choses » affirme Rachel dans une interview. Fortes de cette victoire et de cet apprentissage empirique de la lutte, ces femmes ont fait un pas de plus vers la reconnaissance et la dignité pour toutes ces travailleuses essentielles, nécessaires et pourtant oubliées.
Crédit : Albert Facelly pour Libération