Inceste: L’impossible combat des mères
« On me traite de folle, de menteuse alors que je cherche juste à protéger ma fille », explique une mère de famille en proie aux défaillances des autorités et services sociaux alors que son enfant est victime d’inceste. De tels témoignages sont recueillis par milliers par la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles, créé en mars 2021 à la suite du mouvement #MeTooInceste. Depuis octobre 2021, la CIIVISE a débuté un tour de France à la rencontre des victimes mais également de mères de famille qui se sont heurtées aux oreilles bouchées des institutions.
Un pseudo-syndrome remettant en cause les témoignages des mères
Entre mars 2021 et septembre 2021, la CIIVISE a reçu de nombreux « appels à l’aide de la part des mères ». Alors même que leurs enfants osent briser le mur du silence et révéler les exactions dont ils sont victimes, ces mères se retrouvent prisonnière d’une aberration : protéger leur enfant et se soumettre aux injonctions de la justice.
En effet, selon Marie-Françoise Bellée Van Thong, membre de la CIIVISE, il est nécessaire de « faire évoluer les mentalités, les représentations ». Dans son premier avis publié en octobre 2021, la Commission dénonce l’utilisation du pseudo-syndrome de « l’aliénation parentale » par les autorités judiciaires. Inventé dans les années 80 par Richard Gardner, ce mythe sans fondement scientifique stipule que dans le contexte de séparations conjugales conflictuelles, le parent qui vit avec l’enfant « lave le cerveau » de l’enfant afin que celui-ci refuse de voir son autre parent. La garde étant le plus souvent octroyée à la mère, cette dernière est vue comme une figure aliénante instrumentalisant la parole de l’enfant. Elles sont alors victimes d’une présomption de culpabilité qui entrave la légitimité de leur parole et, par extension, celle des enfants victimes.
Des chiffres qui témoignent de cette contradiction avec la réalité
Les violences sexuelles incestueuses sont une réalité connue. Selon le sondage Ipsos de novembre 2020, 1 français sur 10 affirme avoir été victime de violences sexuelles durant son enfance, 51% des violences sexuelles ont lieu avant 11 ans et 81% avant 18 ans. De même, dans 94% des cas, le bourreau est un proche de la victime. De même l’avis de la CIIVISE dénombre près de 22 000 enfants victimes de violences sexuelles commises par le père chaque année. Néanmoins, en 2020, seulement 1 697 personnes ont été poursuivies pour viol incestueux sur mineur ou agression sexuelle quelque soit le lien de parenté. Enfin, la réalité du syndrome des mères aliénantes n’est pas attestée. Une étude menée par Trocmé et Bala en 2005 montre que les mères « aliénantes » ne représentent qu’un infime pourcentage des dossiers de maltraitance sur enfants. En effet, sur un échantillon de 7 672 cas, le « parent ayant la garde de l’enfant (la mère le plus souvent » n’est l’auteur de que 7% des dénonciations et ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2% des cas ». Soit 12 dossiers
Le protocole judiciaire responsable de la mise en danger des enfants
Selon le juge pour enfants Edouard Durand, « croire l’enfant est un principe de précaution ». L’incapacité de mettre en œuvre des mesures rapides d’éloignement provoque des effondrements psychiques et de lourds traumatismes. Les mères qui choisissent de protéger leurs enfants en les éloignant du domicile du père sont condamnées pour « non-représentation d’enfant ». Elles sont jugées coupables au nom de l’article 227-5 du Code pénal qui dispose que le refus de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni d’un an d’emprisonnement. Or, selon les chiffres du Ministère de la Justice, en 2019, 80% des condamnations pour non-représentation visaient des mères. Dans les cas les plus aberrants, la garde de l’enfant est retirée à la mère pour être donnée exclusivement au criminel et la menace du retrait de l’autorité parentale empêche la protection de l’enfant. Lors d’une réunion publique de la CIIVISE à Bordeaux, une mère de famille déclarait alors « Le jour de ses 4 ans, la garde de ma fille m’a été retirée, aujourd’hui, je la vois deux week-ends par mois et la moitié des vacances scolaires ». Condamnée à vivre chez son bourreau, sa fille victime s’est enfermée dans un mutisme illustrant son incapacité d’être entendue et l’impuissance d’une mère forcée de choisir « entre la peste et le choléra ».
Par ailleurs, les auteurs des faits sont conscients de ces aberrations judiciaires et en jouent. Souvent, ils somment leurs anciennes compagnes au silence en affirmant que la garde de l’enfant leur sera retirée. Une menace malheureusement corroborée par les faits…
Une urgence : réformer et agir au plus près des réalités du terrain
Les recommandations de la CIIVISE vont toutes dans le même sens : la protection de l’enfant et la fin de la présomption de culpabilité des mères. De cette manière, la Commission recommande au législateur la suspension des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse ainsi que la suspension de l’exercice de l’autorité parentale. De même, il est nécessaire d’en finir avec les poursuites pénales de non-représentation lorsqu’une enquête est en cours pour violences sexuelles incestueuses.
Plus que jamais, il est nécessaire d’en finir avec ce système qui met en danger les enfants, protège les pères criminels et mure les mères dans le silence. « Notre baromètre doit être la peur de l’enfant. La peur n’est jamais feinte. » affirme le juge Edouard Durand, co-président de la Commission. La formation des professionnels au contact des enfants ainsi que l’instauration d’une culture de la protection est fondamentale afin de mettre un terme à ces crimes qui touchent les êtres les plus vulnérables.
Pour aller plus loin :
Avis de la CIIVISE : https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2021/10/Avis-meres-en-lutte.pdf
« Inceste et Pédrocriminalité » Un podcast à soi : https://www.youtube.com/watch?v=XVnxwGtmqso&ab_channel=ARTERadio
« Inceste : enfin une prise de conscience collective » Série Inceste de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/enfin-une-prise-de-conscience-collective
« Le nouveau Chiffre de l’Inceste en France », Face à l’Inceste : https://facealinceste.fr/blog/dossiers/le-nouveau-chiffre-de-l-inceste-en-france
« Les Français face à l’inceste » Ipsos : https://www.ipsos.com/fr-fr/les-francais-face-linceste
Les derniers articles
-
Signez la pétition pour une loi intégrale contre les violences sexuelles !
-
Elections Européennes : attention, danger pour les droits des femmes
-
Belle journée de lutte pour les droits des femmes
-
L’Egalité c’est pas sorcier vous souhaite une belle année 2024
-
« L’Egalité ça se travaille » : Tremblay en France accueille l’exposition
-
Un lycée engagé pour l’égalité entre les femmes et les hommes : le Lycée Polyvalent Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-Marne
-
L’horloge de l’inégalité salariale
-
Dressons-nous contre le féminicide!