Marie-Claire Chevalier : une voix qui résistera à la tombe
A Bobigny, la Passerelle Marie-Claire est l’une des voies principales d’accès au Tribunal Judiciaire. Il y a un avant et un après 1972, des temps de luttes antérieures sur lesquelles se sont érigées nos droits contemporains. Plus que jamais, Marie-Claire Chevalier représente une passerelle historique. Décédée le dimanche 23 février à 66 ans, l’histoire de cette femme s’est conjuguée à l’Histoire du combat féministe et du droit des femmes à disposer de leur corps.
L’injustice : 16 ans, victime d’un viol, inculpée pour avortement
En 1972, un procès s’ouvre au Tribunal Judiciaire de Bobigny. La cour place Marie-Claire Chevalier, Michelle, sa mère et 3 autres femmes sur le banc des coupables pour avortement et complicité d’avortement. La principale protagoniste de cette affaire est Marie-Claire, tout juste âgée de 16 ans qui avait avorté après avoir été victime d’un viol par un garçon de son lycée. Au cœur de sa confusion, elle en informe son violeur. Ce dernier la dénonce afin d’obtenir un abandon de charges dans une affaire de vol de voiture.
Cet avortement est une douloureuse métonymie de la mise en danger des femmes durant cette époque. L’actrice Delphine Seyrig, signataire du Manifeste des 343 déclarait à cet égard « Les femmes se font avortées au péril de leur vie ». L’impératif de clandestinité empêche de respecter les mesures sanitaires élémentaires, Marie-Claire Chevalier sera contrainte de garder une gaine électrique durant plusieurs semaines et de se rendre à l’hôpital à cause des suites de l’opération. Un tel danger est renforcé par la précarité. En effet, si certaines femmes peuvent se rendre dans des pays où l’avortement est légal et reconnu comme un droit (Angleterre, Belgique..) les femmes les plus pauvres se rendent chez des « faiseuses d’anges » qui exercent dans des endroits insalubres aux conditions sanitaires indignes. Il est estimé que 500 000 avortements clandestins avaient lieu en France avant 1975 soit un véritable problème social ignoré par les gouvernants pendant des décennies. Pourtant, la rencontre entre Marie-Claire Chevalier et Gisèle Halimi, un an après la publication du Manifeste des 343 et trois ans avant la loi Veil, représente une véritable passerelle historique.
L’avocate politique : Gisèle Halimi et la mobilisation de l’opinion publique
C’est la mère de Marie-Claire qui aura l’idée de contacter Gisèle Halimi. En effet, après la lecture de Djamila Boupacha, un livre écrit par l’avocate au sujet d’une militante algérienne violée et torturée par l’armée française, Michèle Chevalier sent que maître Halimi pourra protéger sa fille. L’avocate, alors présidente de l’association « Choisir » aux côtés de Simone de Beauvoir accepte de défendre l’adolescente. Néanmoins, il ne s’agira pas seulement d’innocenter la jeune fille mais de permettre à toutes les femmes de bénéficier de conditions d’avortement dignes peu importe leur classe sociale. Le procès sera alors connu comme le Procès de Bobigny et représente une tribune. L’avocate politique plaide non seulement en face du juge mais devant l’opinion publique toute entière qui deviendra partie prenante. Une mobilisation sans précédent naît alors ; selon Gisèle Halimi, la foule mobilisée scandait « L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ! » alors qu’elle plaidait aux côtés de la jeune fille.
En vertu de l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, les journalistes n’avaient pas le droit de publier des textes autour des débats d’avortement. Pourtant, la profession choisie de s’élever au niveau de l’Histoire et d’enfreindre cette règle. A l’image de Françoise Giroud qui publiera un article dans l’Express.
Finalement, seule l’une des inculpées, Michèle Bambuck sera condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir pratiqué un avortement illégal. Marie-Claire Chevalier quant à elle sera relaxée.
La nécessaire incarnation mémorielle
Le Procès de Bobigny est un tournant dans la lutte pour la légalisation de l’avortement en France. En témoigne la consigne du ministère de la Justice de ne plus condamner des femmes pour avortement. Avec une opinion publique sensibilisée, la question s’impose à l’agenda politique et la nécessaire réforme de la loi s’impose. En 1975, la loi du 17 janvier relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil est votée au Parlement et dépénalise la pratique.
Aujourd’hui, il nous paraissait nécessaire de rendre hommage à Marie-Claire Chevalier, à Gisèle Halimi et à toutes ces femmes qui se sont mobilisées afin de faire triompher la dignité et la liberté. Sans elles, sans ce pouvoir propre de la lutte commune, les femmes continueraient de souffrir du dilemme entre l’avortement et la sécurité. Cependant, les révolutions sont fragiles et s’entretiennent à chaque instant. Alors que la Pologne a fait adopter l’une des lois sur l’avortement la plus restrictive d’Europe et que les manifestations anti-avortement continuent de mobiliser en France, il nous faut défendre la mémoire de Marie-Claire.
Continuons de nous battre sur cette belle passerelle.
Les derniers articles
-
Signez la pétition pour une loi intégrale contre les violences sexuelles !
-
Elections Européennes : attention, danger pour les droits des femmes
-
Belle journée de lutte pour les droits des femmes
-
L’Egalité c’est pas sorcier vous souhaite une belle année 2024
-
« L’Egalité ça se travaille » : Tremblay en France accueille l’exposition
-
Un lycée engagé pour l’égalité entre les femmes et les hommes : le Lycée Polyvalent Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-Marne
-
L’horloge de l’inégalité salariale
-
Dressons-nous contre le féminicide!