Autour du débat: les violences sexistes et sexuelles au travail

Autour du débat: les violences sexistes et sexuelles au travail

mars 22, 2022

Samedi dernier, l’Egalité c’est pas sorcier a tenu une conférence relative aux violences sexistes et sexuelles au travail dans le cadre de la présentation de l’exposition L’Egalité ça se travaille ! au QJ du 1er arrondissement. Nous avons eu la chance d’être reçues par Aurélien Lesne, chargé de programmation de cette institution réunissant des jeunes de tous horizons!

Autour de l’animation de l’avocate spécialisée Lilia Mhissen, nous avons eu un échange des plus enrichissants avec des jeunes lycéens et lycéennes, étudiants et étudiantes ainsi que des jeunes salari.é.e.s au sujet des violences subies par les femmes dans le cadre scolaire, universitaire et professionnel. Ce moment qui s’est déroulé au sein d’un cadre magnifique laisse pourtant une impression à la fois douce et amère. En effet, les témoignages des jeunes femmes présentes dans le public nous ont montré que, malgré des avancées, la réalité de la violence était toujours très perceptible.

Le harcèlement sexuel au travail : révélateur d’un cadre professionnel excluant les femmes ?

A la question « Le harcèlement sexuel est-il systémique ? », Lilia Mhissen nous invite à reconnaître une certaine évolution historique « Il l’était oui, répond-elle, mais plus maintenant. Il est devenu systématique. On a été dans une institution juridique et judiciaire qui était fondée sur le sexisme et le patriarcat. Aujourd’hui nos institutions prônent l’inverse, mais changer les mentalités prend plus de temps que l’adoption d’une loi. » L’avocate souligne-t-elle un retard dans l’évolution des représentations individuelles face à une loi qui évolue ? Les mentalités et les textes de lois sont deux édifices sociaux que nous avons du mal à faire évoluer, du fait de leur caractère figé, héritages de temps anciens. Pour autant, le cadre législatif français a évolué depuis le début du XIXème siècle.

En effet, les jalons d’une société inégale, dont nous voyons toujours les prolongements, ont été posés au moment de la rédaction du Code Civil. Bonaparte, alors Premier Consul proclame la réunion des lois civiles en un seul édifice : le « Code Civil des Français ». Selon la légende, il aurait déclaré à Sainte-Hélène « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles (…)  Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil ». Effectivement, Bonaparte ne s’était pas trompé ; son Code Civil à destination des français et non des Françaises, demeurera en l’état pendant plus d’un siècle.

On observe alors un déni d’égalité des femmes, ces dernières étant réduites aux propriétés de leurs maris. L’article 213 dispose en effet que « Le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance au mari. » Napoléon Bonaparte ira plus loin en expliquant que la femme est donnée à l’homme et qu’elle constitue sa propriété comme les fruits d’un arbre fruitier appartiennent au jardinier. Réduite à sa fonction procréatrice, la femme est cloisonnée, réduite à une vie rythmée par l’espace domestique. L’article 213 du Code Civil sera abrogé par la loi du 18 février 1938 « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari »

En 1970, la loi du 4 juin, supprime la notion de chef famille, les époux disposant de la mutuelle direction « morale et matérielle de la famille ». Les deux conjoints sont chargés de pourvoir à l’éducation des enfants et à la préparation de leur avenir. Il aura donc fallu plus de 100 ans pour que la femme échappe à l’obéissance de son époux. Cinq ans plus tôt, en 1965 elle obtient le droit de travailler et de disposer de son compte bancaire, une avancée majeure. Et pourtant, encore aujourd’hui et ce malgré le mouvement #MeToo, les femmes gagnent 30% de salaire en moins que leurs collègues de sexe masculin et l’espace de travail est pollué par le prisme sexiste. De même, selon une étude réalisée par l’IFOP en 2014, 20% des femmes actives ont été confrontées à des situations d’harcèlement sexuel au cours de leur vie.

  Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ? Ce que dit la loi

Sur le plan pénal, le harcèlement sexuel est une réalité multiple prenant en considération une pluralité de conduites et propos. Le cadre législatif français prévoit deux caractérisations du harcèlement sexuel :

  • Dans sa conception classique, le harcèlement suppose des actes répétés. C’est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante
  • « Le harcèlement sexuel assimilé » résulte du fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers

Le code du travail fait une synthèse de ces deux infractions puisque l’article L. 1153-1 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir des faits :

  • 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 
  • 2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Si la notion de harcèlement renvoie sémantiquement à un acte répété, cette évolution législative permet d’étendre la protection juridique des femmes aux pressions graves exercées en contrepartie d’un avantage ou de l’évitement d’une situation dommageable.

Prévenir légalement l’ensemble du continuum de violences

Légalement, le harcèlement sexuel est distingué de l’agissement sexiste défini par l’article L. 1142-1 du Code du Travail comme « tout agissement lié au sexe d’une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». L’agissement sexiste a été introduit dans le cadre législatif par la loi du 17 août 2015 qui entendait lutter contre le sexisme ordinaire, porté à l’attention du législateur par le rapport du Conseil Supérieur à l’Egalité Professionnelle entre les Femmes et les Hommes. Constituent des actes d’agissements sexistes le fait de :

  • Proférer des remarques et blagues sexistes
  • Incivilités basées sur le sexe tels que familiarités langagières, marginalisation, infantilisation, mise en doute du jugement d’une collègue féminine…
  • S’ériger en « police des codes sociaux du sexe » tels que la critique d’une tenue jugée non-féminine, d’une conduite, d’une manière de s’exprimer. 
  • Le sexisme dit « bienveillant » qui revient à vanter les qualités d’une femme en raison de stéréotypes de genre tels que la sensibilité, l’écoute, la minutie…

L’agression sexuelle elle, constitue une infraction au Code pénal et est plus sévèrement répréhensible. De même, le harcèlement sexuel constitue un délit pénal lorsque les faits sont commis par un supérieur hiérarchique, sur un mineur de moins de quinze ans, sur une personne en situation de vulnérabilité (maladie, grossesse, situation économique précaire). Par ces différentes mesures, la loi lutte contre le continuum de violences auquel les femmes sont soumises au sein de l’espace public, de la brimade au harcèlement sexuel et au viol.

Par ailleurs, si le harcèlement sexuel constitue une violation du Code du travail, ce dernier n’a pas nécessairement besoin de se dérouler sur le lieu du travail pour obtenir cette qualification. En effet, les attitudes déplacées et les propos à caractère sexuel tenus en dehors du lieu et du temps de travail entre deux salariés constituent une faute grave.

L’obligation des employeurs : la nécessité de créer un espace protégé pour les victimes

Selon la même étude de l’IFOP mentionnée antérieurement, seulement 30% des femmes actives victimes de harcèlement en parlent à une personne et moins du quart des victimes mentionnent ce délit à leur employeur. Or, l’article 1153-5 du Code du travail dispose que « l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner ». Cette loi, visant à créer un espace sécuritaire pour les femmes engage toutes les structures professionnelles et ce peu importe leur taille ou encore leur secteur d’activité. Les entreprises sont chargées de faire cesser le harcèlement dès qu’elles en ont été informées sous peine d’être condamnées à verser des dommages et intérêts aux victimes.

Pour autant, malgré ces avancées, de nombreuses femmes ne s’expriment pas en raison d’une peur des répercussions ou, plus pernicieux encore, d’une inversion de la culpabilité. Or, ce sont ces premières paroles qui permettent à la victime d’être protégée en cas de procédure judiciaire. Ainsi, si la structure hiérarchique peut intimider, le simple fait d’en parler à un collègue, aux représentants du personnel, aux délégués syndicaux ou au médecin de travail est une première étape fondamentale. Ainsi, les faits sont dénoncés et peuvent être consignés. Lorsque la victime sera prête elle pourra se référer à ces témoins de la première heure et voir sa parole appuyée par les personnes ayant recueilli les confidences. La consignation des faits peut s’avérer essentielle aussi en cas de réitération. La parole se doit d’être libre, d’autant plus que le législateur a prévu des dispositions afin de protéger les victimes et les témoins contre le licenciement et les mesures discriminatoires résultant d’une dénonciation.

Je suis une femme victime de harcèlement, quelle est la meilleure procédure à suivre ?

Selon Lilia Mhissen, la première défense face au harcèlement sexuel demeure la parole. La parole sauve, d’abord elle permet de faire connaître sa souffrance mais également de constituer son dossier judiciaire. Que la victime décide ou non de dénoncer les faits à son employeur, il est nécessaire de conserver les preuves (traces écrites, mails, messages vocaux, certificats médicaux, arrêts de travail…) afin de ne pas voir sa plainte être classée sans suite. En matière de harcèlement sexuel au travail, la charge de la preuve est aménagée. Dans le cadre d’une procédure engagée devant le Conseil des Prud’hommes, la victime bénéficie d’un aménagement de la charge de la preuve. Il lui suffit de « présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence du harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (Article L. 1154-1 du Code du travail.) La procédure spéciale faite aux prud’hommes est soumise à un délai de 5 ans à compter des faits de harcèlements. Le Conseil de prud’hommes peut annuler le licenciement ainsi que des sanctions disciplinaires éventuellement prononcées contre la victime de harcèlement mais également condamner l’employeur à verser des dommages et intérêts à la victime.

La charge de la preuve : une responsabilité de la victime

De plus, la victime doit prouver les effets indésirables provoqués sur sa santé, tels que l’augmentation des symptômes de stress (hypervigilance, fatigue, consommation de psychotropes, irritabilité…) De telles souffrances peuvent être attestées par un médecin délivrant des arrêts de travail.  Consulter la médecine du travail est également une étape importante. Bien que la victime puisse signifier son désir d’anonymat à son interlocuteur, ce dernier peut ouvrir un dossier qui servira de preuve supplémentaire lorsque la femme harcelée exprimera le besoin d’engager des poursuites. Enfin, l’adresse, par écrit ou note vocale, d’un message demandant à l’harceleur de stopper ses agissements peut être bénéfique. En effet, si ce message n’est pas suffisant pour désamorcer les situations d’harcèlement sexuel, il peut constituer un élément sur lequel s’appuyer afin de démontrer l’absence de consentement. L’auteur ne pourra alors pas invoquer un jeu de séduction réciproque ou recourir aux formules tristement célèbres telles que « Elle n’a pas dit non ! », « Elle n’a rien dit ! »

Tous ces éléments, preuves écrites et arrêts maladies permettent de constituer un dossier solide et de voir les chances de condamnation de l’auteur multipliées.

L’Egalité ça se travaille : entretien avec l’avocate spécialisée Lilia Mhissen

Aujourd’hui quel est l’outil le plus adapté afin de lutter contre ces violences ?

Par le débat. Par le débat on favorise le questionnement, la réflexion. Par l’adoption d’une loi, on donne une direction à la société, mais la loi ne peut pas tout. Par exemple, à la suite de l’adoption de la loi pour l’égalité des rémunérations, le législateur a encore dû voter des lois pour inciter davantage les entreprises à respecter ce principe. On assiste à une multiplication de lois qui sont loin des respectées, mais c’est par leur adoption et les débats qu’elles suscitent que les choses commencent à changer.

Est-ce que pour vous, la lutte pour l’Egalité fut la Grande Cause du Quinquennat ? Il y a-t-il eu des avancées juridiques ?

Il y a effectivement des points qui ont été obtenus à la suite du Grenelle. Une femme qui dépose plainte au commissariat peut être accompagnée par un avocat. Auparavant, nous avions des difficultés à franchir la porte d’un commissariat ; maintenant la question ne se pose plus. De plus, une femme allant aux UMJ repartait sans son certificat médical, maintenant il doit lui être remis. Néanmoins, toutes ces choses sont symboliques et n’ont pas coûté un centime à la République. A chaque fois, on nous a répondu qu’il n’y avait pas de budget ; il y a certes une volonté politique mais les moyens ne sont pas là. C’est la grande cause mais ce n’est pas le grand budget !

Les inégalités salariales sont-elles moins marquées dans le public ?

Elles existent moins mais existent quand même. Il y a une contradiction au sein même de l’Etat, elles sont écartées des postes de responsabilités, des promotions ainsi que des augmentations. Je regrette de constater encore que certaines femmes aient intégré le sexisme et s’auto-censurent. De plus, en France, c’est la femme qui doit prouver qu’elle est victime d’une inégalité salariale, or la procédure est très longue, coûteuse et donc profondément dissuasive. Malgré tout, des procédures ont été prévues par la loi, pour tenter d’y remédier, notamment dans le cadre de la Négociation Annuelle Obligatoire dans les grandes entreprises.

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L'association 
L'ÉGALITÉ C'EST PAS SORCIER
legalite@cpassorcier.org

Renseignements sur les expositions
michele.rigault@free.fr

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