L’affaire French Bukkake : la traite des êtres humains au cœur du porno
L’Affaire « French Bukkake » : les révélations sur l’industrie pornographique
« On ne se rend pas compte que c’est un viol, que c’est de la torture. La manipulation que l’on subit est très importante. (…) On a mal, on est impuissante, on se fait insulter ; le but c’est qu’on obéisse. On est dans une forme de soumission totale. Et on se dit qu’on a accepté d’être là. (…) Puis il y a eu un tournage avec un autre homme, encore un viol, de la sodomie forcée, pourtant cette personne était au courant de tout ce que je refusais. (…) Le lendemain matin, avec un quatrième homme, toujours pas de préservatif, encore un rapport anal forcé. (…) J’ai subi des violences verbales, physiques, psychologiques. Pendant les scènes, je demandais d’arrêter, je voulais arrêter. J’avais dit mon choix d’un seul partenaire. »
- L’une des victimes témoignant dans le rapport du Sénat ‘Porno : l’Enfer du décor »
Actif depuis plus de 10 ans, le site internet « French Bukkake » se spécialise dans la mise en ligne de vidéos aux pratiques sexuelles dangereuses et avilissantes. De très jeunes victimes de viols en réunion sont filmées durant des rapports tarifés au sein desquels une dizaine d’hommes éjaculent sur leur visage. Ce n’est qu’en octobre 2020 que le renseignement judiciaire de la section de recherches de Paris ouvre une information judiciaire après une analyse de la plateforme. Cette dernière propose des vidéos en ligne mais également des abonnements présentant des avantages aux clients tels que la participation aux tournages. La section du parquet de Paris en charge de proxénétisme et de traite des êtres humains est donc saisie afin de caractériser les faits et mettre en lumière ces exactions. Au fil de l’enquête, quatre chefs d’accusations sont retenus : « viols », « traite d’êtres humains aggravée » « proxénétisme aggravé », « diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte à l’intégrité de la personne ». 16 hommes, acteurs, réalisateurs et producteurs révélant une chaîne d’exploitation au cœur de l’industrie pornographique française et internationale sont visés par l’enquête. Tous les acteurs sont concernés, de la diffusion à la production, du géant français Dorcel aux plateformes de diffusion VOD comme Orange. C’est la colonne vertébrale de l’industrie pornographique qui est fondée sur la souffrance des femmes. Au terme de plusieurs mois d’enquête, 4 hommes ont été mis en examen vendredi 30 septembre.
Une véritable traite des êtres humains…
Le mode opératoire de recrutement des têtes de réseaux répond à une logique cynique consistant à abuser de la vulnérabilité des victimes. En effet, le recrutement de très jeunes femmes mineures pour la plupart se fait via les réseaux sociaux. Là, un homme se fait passer pour une femme, escort dénommée « Axelle » et gagnant beaucoup d’argent grâce à son activité. Les dirigeants du site internet savent que cela leur permet de s’imposer lors d’échanges avec des femmes en situation de grande vulnérabilité économique et aux parcours de vie difficiles. Ainsi l’une des victimes témoigne : « « le manque d’argent est une de mes phobies, j’ai peur d’être à la rue. Aucune d’entre nous n’était consentante. Nous étions consentantes à avoir de l’argent mais pas à ce qui nous est arrivé. » dans le rapport du Sénat « Porno : l’enfer du décor ».
Le proxénète promet alors une rémunération pouvant aller jusqu’à 2000 euros. Les femmes, soumises et contraintes par le besoin imminent d’argent acceptent. Comme témoigne l’une d’entre elles au sein du rapport : « « j’avais besoin de cet argent tout de suite. Je devais payer mes factures et mon loyer sinon je perdais mon appartement ». Or, elles ne verront jamais cet argent. Très vite, elles sont accueillies sur les lieux de tournage, entre Paris et la Normandie. Elles subissent un premier viol à des fins de soumission et d’aliénation. Puis d’autres, mêlant trois, quatre, dix hommes auteurs de violences physiques, psychiques et sexuelles.
La qualification de ces faits en traite des êtres humains aux fins de viol est fondamentale. En effet, définie à l’article 225-4-1 du Code Pénal, la caractérisation de la traite des êtres humains se base sur trois critères : une action de la part des auteurs (recruter, transporter, héberger…), l’utilisation d’un moyen à l’encontre de la victime (menace, contrainte, promettre une rémunération…). En outre, l’exaction doit avoir une finalité : le proxénétisme, le viol etc. Ici, le consentement de la victime ne peut être posée en défense par les criminels.
Au niveau de la victime, la reconnaissance de la traite permet de reconnaître l’existence d’une organisation préalable à la commission des viols afin de donner une envergure nationale à l’enquête. Elle permet alors une meilleure prise en charge des victimes et l’ouverture d’un dispositif d’accompagnement et d’hébergement au niveau national.
… favorisée par la massification de l’industrie
« Sur Internet, on dit souvent que « si quelque chose existe, il en existe également une version pornographique. Le moindre fantasme, le moindre désir le plus pervers sont représentés », affirme Elsa Labouret, porte-parole de l’association Osez le féminisme !. Cette explosion du contenu pornographique disponible en ligne est corroborée à l’apparition des « tubes » à savoir des plateformes diffusant du contenu gratuitement et sans aucune restriction d’accès. Ces dernières alimentent le marché globalisé de l’industrie pornographique en omettant consciemment un contrôle du mode de production, du consentement et des conséquences sur les femmes victimes et la société dans son ensemble. Il s’agit de faire du profit et vite, dans une industrie représentant 2 Md de dollars. Ce marché ne peut réaliser de telles marges qu’en exploitant le corps des femmes au sein d’un réseau global de trafic humain.
27% du flux de vidéo mondial concerne la pornographie et près d’un quart des recherches Internet visent à la consommation de ce contenu. La pornographie est donc un problème systémique. Ce trafic alimente en effet la banalisation des violences sexuelles et leur perception comme normes, l’intériorisation de ces normes par les jeunes femmes et hommes et, finalement, l’expansion de la culture du viol.
L’urgence : appliquer les outils législatifs en vigueur
Le rapport des sénatrices Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol « Porno, l’enfer du décor », déposé le 27 septembre 2022 appelle à des mesures urgentes et concrètes. Il s’agit de protéger à la fois les victimes de ces réseaux de traite humaine et la société de l’extension de la culture du viol. Tout d’abord, nous devons faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique, notamment en appliquant enfin la loi visant à protéger les mineur.e.s de l’exposition au contenu pornographique. Il nous faut également imposer aux plateformes des amendes face à toute diffusion de contenu illicite, afin de permettre aux victimes de se reconstruire et de bénéficier du droit à l’oubli. Enfin, le rapport insiste sur l’éducation populaire comme enjeu fondamental. Il nous faut aborder les questions de la pornographie sous l’angle de la traite des êtres humains et non seulement comme enjeu de santé publique.
C’est donc toute la société dans son ensemble, à une échelle internationale qui doit ériger la pornographie de masse comme problème social majeur afin de lutter contre ses conséquences désastreuses de la production à la consommation.
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